Histoire de changement, Sénégal : Ma voix compte aujourd’hui !
A l’est du Sénégal, plus précisément dans la commune de Bala, dans la région de Tambacounda, se trouve l'une des régions les plus vastes mais aussi les plus pauvres du pays. La région dispose notamment du plus petit nombre d'enseignants et - selon l'analyse du contexte d'intervention du programme d'Action Aid - l'accès à l'information et au pouvoir de décision, par exemple en ce qui concerne le processus de vote du budget, a été restreint pendant des années.
Les femmes en général n’avaient qu'un accès et une participation très limités aux procédures budgétaires et à la connaissance de la part du budget allouée aux services publics tels que l'éducation. Sans oublier la méconnaissance des femmes de leurs propres droits. Il ne leur était pas possible d'avoir une vision claire des procédures de gestion des ressources financières.
Action Aid
- Action Aid est une fédération mondiale qui œuvre en faveur de la justice sociale, de l'égalité des sexes et de l'éradication de la pauvreté.
- Au Sénégal, ils travaillent avec les communautés locales et, avec le soutien d'Education à Voix Haute, plaident en faveur de changements qui contribueront à maintenir les enfants, en particulier les filles, à l'école et à améliorer la qualité de leur éducation.
- Action Aid Sénégal forme également les agriculteurs à l'amélioration de leurs moyens de subsistance et les agents de santé à la lutte contre les maladies évitables.
- TaxEdAlliance est financé par Education Out Loud et rassemble Action Aid, Tax Justice Network, Global Alliance for Tax Justice et d'autres dans un projet visant à augmenter le financement national de l'éducation publique. Les pays ciblés sont le Népal, le Sénégal et la Zambie.
- Vous pouvez suivre le travail d'ActionAid Sénégal et de TaxEdAlliance sur Twitter @actionaidSN / @alliance_ed
- Cliquer sur le lien pour en savoir plus sur leur projet "Accroitre le financement national de l'éducation publique" soutenu par Education à Voix Haute.
"À Bala, comme dans de nombreuses sociétés, la place des femmes était perçue comme étant uniquement à la maison pour s'occuper des enfants. Or, il ne peut y avoir de changement si une partie des citoyens est laissée pour compte. Et, bien entendu, lorsqu’on veut créer un changement toutes les voix comptent ", déclare El Hadji Moussa Sarr, un chargé de programmes du projet à Action Aid Sénégal.
Le changement s'est fait au travers de l'apprentissage
Ce manque d'inclusivité et de transparence a peu à peu conduit certaines femmes de la communauté à remettre en question le système des services publics et à vouloir comprendre comment les choses sont censées fonctionner. Action Aid Sénégal a rencontré ces femmes et a compris leur frustration, leur niveau assez avancé de vulnérabilité.
"Nous avons estimé qu'il était juste de former les femmes pour qu'elles comprennent d'abord leurs droits et qu'elles puissent participer activement aux processus de prise de décision et devenir des championnes de la communauté avec des voix fortes", déclare El Hadji Moussa Sarr.
L'une de ces femmes est Mariatta Diarra, née en 1961 et analphabète, mais décidée à se lancer dans l'apprentissage pour comprendre les processus de gouvernance et de redevabilité.
"Je voyais bien qu'il y avait des lacunes dans nos services publics. Je ne suis peut-être pas allée à l'école, mais j'ai pensé que je devais pouvoir contribuer au développement de ma communauté", explique Mariatta Diarra.
80 femmes au total, issues de Bala et des communautés voisines, ont bénéficié d'une formation approfondie de trois jours sur les droits, les processus politiques, la planification et l'affectation du budget, ainsi que de conseils concrets sur la manière d'acquérir des connaissances et d'exercer une influence. Cette formation a été dispensée dans le dialecte local et adaptée aux personnes n'ayant pas ou peu d'instruction.
Devenir une championne
Elle s'est déroulée dans le cadre du "Cercle de réflexion et d'action des femmes" soutenu par Action Aid, dont la plupart des femmes sont restées membres par la suite et ont continué à apprendre les unes des autres et à se soutenir mutuellement.
"En conséquence, les femmes ciblées ont appris à connaître leurs droits et les systèmes sur lesquels reposent les services publics dans leur communauté. Et nous avons été heureux de voir que, immédiatement après, certaines d'entre elles ont commencé à assister aux réunions des municipalités. Et ce n'était que la première étape pour plusieurs d'entre elles", explique El Hadji Moussa Sarr.
Plus tard, en 2021, grâce à la subvention d’Education à Voix Haute sous la composante opérationnelle 3 (OC3), Action Aid, l'Alliance TaxEd et leur projet axé sur le leadership féministe dans les communautés, Mariatta Diarra et les autres femmes ont eu l'occasion d'en apprendre beaucoup plus.
Elles ont été formées sur divers sujets tels que le financement de l'éducation, le suivi du budget, la mobilisation des ressources et le contrôle citoyen, jusqu'à ce qu'elles deviennent des leaders communautaires soutenant Action Aid dans ses efforts de plaidoyer dans la région.
"Dans le cadre de notre stratégie visant à défendre les femmes et les filles et à amplifier leur voix, nous les avons encouragées du mieux que nous pouvions à participer activement au développement de leur communauté", ajoute El Hadji Moussa Sarr, le chargé de programmes du projet d'Action Aid au Sénégal.
Comment transformer les connaissances en influence
L'une des premières choses a été de participer aux réunions municipales. Après avoir réalisé que les réunions de la municipalité sont publiques et donc ouvertes à tous, Mariatta Diarra a décidé de s'y rendre.
Mais outre l'accès aux informations de base telles que l'heure et le lieu des réunions, il s'est avéré loin d'être facile de simplement se présenter et d'exprimer ses opinions. Deux difficultés majeures sont ressorties. Malgré sa formation approfondie, Mariatta Diarra a eu beaucoup de mal à suivre les discussions de la réunion.
Elle avait même l'impression que les membres de la municipalité compliquaient délibérément les choses pour la décourager de participer. En même temps, il s'est avéré que tous les matériels et documents utilisés par la municipalité étaient uniquement en français et donc inaccessibles à Mariatta Diarra et aux autres femmes ayant un niveau d'éducation limité.
La récompense d'un engagement constant
Face à ces obstacles, Mariatta Diarra a décidé de ne pas essayer de former ou d'exprimer son opinion lors des réunions. Au lieu de cela, elle rentrait chez elle et demandait à son petit-fils de lui lire et traduire tous les documents.
Elle prenait ensuite une décision éclairée et l'exprimait lors de la réunion suivante, tout en demandant à la municipalité d'utiliser le dialecte national. La nécessité de rendre les réunions plus inclusives a rapidement été reconnue et le conseil a modifié ses méthodes pour permettre à un plus grand nombre de citoyens de suivre et d'influencer son travail.
Depuis, Mariatta Diarra est allée plus loin qu'elle ne l'avait jamais imaginé. En 2021, elle avait déjà fait suffisamment de progrès et de preuves pour se présenter et se faire élire au conseil municipal. Par la suite, elle a même été nommée adjointe au maire de la communauté de Bala et membre du comité de gestion de l'école, en tant que première femme analphabète de l'histoire.
Elle reste une championne de la défense de l'éducation et du financement des services publics, domaines dans lesquels elle contribue aujourd'hui activement à créer des changements positifs.
"Grâce aux formations et à l'accompagnement que j'ai reçus, j'ai maintenant accès à l'espace de décision. Je peux assister au vote parlementaire et faire des amendements ; j'ai un pouvoir de décision et d'influence sur la gestion des ressources de ma communauté. Et je sais comment mes impôts sont utilisés", a confié Mariatta Diarra.