
L’égalité des sexes comme levier de transformation de l’éducation : réflexions depuis Bangkok
De retour de l’atelier régional d’action sur l’éducation transformatrice en matière de genre organisé à Bangkok, Sidra Fatima Minhas, nouvelle conseillère en matière de genre à l’Éducation à Voix Haute partage ses réflexions sur la promotion d’une éducation inclusive et transformatrice en matière de genre dans la région Asie-Pacifique.
En août 2025, j’ai rejoint un groupe diversifié de dirigeants de la société civile, de décideurs politiques, d’éducateurs féministes et de jeunes activistes à Bangkok pour l’atelier régional d’action Asie-Pacifique sur l’éducation transformatrice en matière de genre (GTE). Organisée par le Réseau féministe pour l’éducation transformatrice en matière de genre (FemNet4GTE) et l’Association Asie-Pacifique Sud pour l’éducation de base et l’éducation des adultes (ASPBAE), cette rencontre n’était pas un simple dialogue politique de plus. Elle a marqué un tournant pour l’éducation dans une région confrontée à de multiples crises.
Les coalitions nationales pour l’éducation de toute l’Asie et du Pacifique figuraient parmi les participants et ont partagé leurs stratégies et leurs enseignements sur la promotion d’une éducation inclusive et transformatrice en matière de genre dans certains des contextes les plus difficiles. Ayant récemment rejoint le programme Éducation à Voix Haute, j’ai trouvé particulièrement intéressant de constater à quel point bon nombre des questions soulevées lors de l’atelier rejoignent les thèmes dynamiques d’Éducation à Voix Haute
Selon la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie et le Pacifique, l’Asie-Pacifique n’atteindra qu’un tiers des progrès voulus pour atteindre les ODD d’ici 2030. Pour l’ODD 4, la situation est pire : 754 millions d’adultes étaient encore analphabètes en 2024, les femmes représentant 63 % du total. Dans le même temps, les conflits, les catastrophes climatiques et les mouvements anti-droits érodent les progrès durement acquis. Ces chiffres ont encadré toutes les conversations à Bangkok, nous rappelant pourquoi nous ne pouvons pas nous permettre de continuer comme si de rien n’était.
Espaces politiques: de l’accès à l’influence
L’un des thèmes les plus récurrents de l’atelier était que les espaces politiques n’ont d’importance que s’ils permettent d’apporter des changements. Les coalitions nationales pour l’éducation et leurs partenaires ont travaillé dur pour obtenir une place au sein des groupes locaux pour l’éducation, des mécanismes régionaux et des forums mondiaux, mais leur simple présence ne suffit pas.
Les discussions ont porté sur le Népal, où les catastrophes naturelles récurrentes ont mis à rude épreuve les systèmes éducatifs, mais où la société civile a continué à se faire entendre pour promouvoir l’inclusion et la responsabilité. La leçon était à la fois sobre et urgente : l’accès sans influence risque de devenir purement symbolique.
Pour les coalitions de la région, il ne s’agit pas seulement d’être consultées, mais aussi de façonner les politiques, le financement et les cadres de suivi de manière à rendre les systèmes véritablement inclusifs.
Financement: le test de crédibilité
Si la participation est la porte d’entrée, le financement est le test de crédibilité. À Bangkok, la question de la budgétisation sensible au genre (BSG) a suscité un débat intense et s’est imposée comme l’une des préoccupations les plus critiques. Si les gouvernements reconnaissent l’égalité des sexes sur le papier, la réalité est que les engagements apparaissent rarement comme des postes budgétaires.
Cet écart n’est pas abstrait. Il détermine si les filles disposent de toilettes sûres à l’école, si les enfants handicapés trouvent des rampes d’accès et des salles de classe accessibles, et si les élèves des zones rurales peuvent se déplacer en toute sécurité. Il ne s’agit pas de slogans politiques, mais de choix financés – ou non financés.
Les leaders de la société civile présents dans la salle ont été clairs: tant que les budgets ne refléteront pas ces réalités, les promesses resteront vaines. Le plaidoyer doit désormais passer du langage politique aux demandes de financement.
C’est également la raison pour laquelle Éducation á Voix Haute soutient les coalitions dans leur plaidoyer en faveur d’un financement sensible au genre, contribuant ainsi à garantir que les engagements en matière d’équité se traduisent en budgets réels et en responsabilité.
Les nouvelles frontières de l’exclusion et des opportunités
Si les questions de financement ont dominé les discussions à Bangkok, celles-ci nous ont également obligés à nous confronter aux frontières où se décidera la prochaine génération d’inégalités.
- Numérisation et IA : les jeunes ont lancé un avertissement fort. La technologie peut élargir l’accès, mais elle peut aussi renforcer l’exclusion. La dure réalité de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où seuls 3 millions de personnes sur 10 millions sont des utilisateurs actifs d’Internet, illustre comment les fractures numériques reflètent et multiplient les divisions sociales. Si l’IA et les outils éducatifs numériques ne sont pas conçus dans une optique d’inclusion, ils renforceront les préjugés au lieu de les démanteler.
- L’éducation dans les situations d’urgence : les conclusions du programme ERICC (Education Research in Conflict and Protracted Crisis) nous ont rappelé que dans les contextes de crise, les filles sont doublement exposées. Du Bangladesh aux Philippines, les conflits, les déplacements et le changement climatique ont interrompu la scolarisation et l’apprentissage. Dans ce cas, le plaidoyer de la société civile ne concerne pas seulement l’accès à l’éducation, mais aussi la survie et les droits. Si les réponses éducatives ne sont pas conçues dans une optique d’équité, les situations d’urgence continueront à priver les plus vulnérables de leurs droits.
- Apprentissage tout au long de la vie : les petits groupes de discussion ont mis en évidence à quel point ce sujet reste absent des priorités politiques. Dans de nombreux endroits, les systèmes éducatifs continuent de considérer l’apprentissage comme quelque chose qui s’achève à la fin de la scolarité. Pourtant, dans toute la région, les femmes qui souhaitent apprendre à lire et à écrire, les jeunes autochtones qui réclament la reconnaissance et les travailleurs qui veulent acquérir de nouvelles compétences sont laissés pour compte. Leur droit à l’apprentissage ne s’éteint pas avec l’âge.
Ces discussions ont été étroitement liées au débat sur le financement : sans ressources, ces priorités tournées vers l’avenir resteront marginalisées. Et sans la pression de la société civile, elles pourraient ne jamais figurer à l’ordre du jour des gouvernements.
Ce que j’ai retenue
Bangkok était intense. Les statistiques étaient décourageantes et les obstacles politiques indéniables. Pourtant, ce que j’ai ramené chez moi n’était pas le désespoir, mais la détermination. J’ai vu des jeunes dirigeants du Pacifique relever le défi de la fracture numérique avec ingéniosité. J’ai écouté des groupes de femmes réclamer une seconde chance dans l’éducation. J’ai entendu des coalitions issues de contextes fragiles insister sur leur droit à être entendues, même lorsque l’espace se referme.
La résilience dont ont fait preuve les participants à cette réunion m’a rappelé pourquoi la société civile est importante : parce qu’elle continue de défendre ce que les gouvernements négligent et parce qu’elle ose imaginer une transformation alors que d’autres se contentent de changements progressifs. En y réfléchissant, trois impératifs me semblent urgents et interdépendants :
- Investir dans un financement sensible au genre afin que les engagements se traduisent par des réformes concrètes et financées.
- Protéger l’espace civique afin que les coalitions puissent non seulement être présentes, mais aussi jouer un rôle important dans l’élaboration des décisions.
- Promouvoir les ressources pour l’avenir – en matière de l’IA, de réponse aux crises et d’apprentissage tout au long de la vie – afin que les lacunes d’aujourd’hui ne deviennent pas les inégalités profondément enracinées de demain.
L’atelier régional d’action de Bangkok sur l’éducation transformatrice en matière de genre a été organisé par le Réseau féministe pour l’éducation transformatrice en matière de genre (FemNet4GTE) et l’Association Asie-Pacifique Sud pour l’éducation de base et l’éducation des adultes (ASPBAE), qui ont réalisé ce diaporama à partir de l’événement. Photo : ASPBAE.