Un laboratoire de la démocratie porté par la jeunesse latino-caribéenne pour défendre le droit à l’éducation

Des jeunes, membres de la Campagne latino-américaine pour le droit à l’éducation (CLADE), ont mis en place une plateforme pour comprendre et développer la démocratie, et protéger le droit à l’éducation. Lisez le récit d’Israel Quirino sur la façon dont il a découvert sa voix et commencé à trouver des réponses à certaines des grandes questions sur la démocratie.

Comme n’importe quel enfant, je posai beaucoup de questions, tout le temps et à tout le monde. Un jour, en pleine période électorale au Brésil, j’ai demandé à mon père ce que voulait dire le mot « démocratie ». Je l’avais sûrement entendu à la télévision. Mon père, qui a grandi sous une dictature militaire, a pris quelques secondes pour réfléchir à la manière d’expliquer un concept aussi complexe, puis a répondu : « La démocratie, c’est quand on peut voter. »

Pour un enfant, était suffisant. J’ai compris que la démocratie, c’était quand le professeur de sport nous demandait si on préférait jouer au football ou au volley-ball en votant à main levée. Le principe est simple : la majorité l’emporte et s’extasie à l’annonce des résultats. Le fait que la majorité veuille toujours jouer au football ne me dérangeait pas, sûrement parce que j’en faisais partie. Et si on jouait au volley-ball pour changer ? Certaines personnes en avaient envie, et ça aurait sûrement été amusant aussi de jouer au volley-ball. Et si la démocratie, était plus que compter les mains levées et constituer des majorités ? Y a-t-il une solution qui puisse satisfaire tout le monde ? Est-il possible de rendre la démocratie plus démocratique ?

Pendant mon adolescence, ces questions ont commencé me tarauder et j’ai trouvé un groupe de jeunes qui partageait les mêmes préoccupations que moi : le Groupe de travail jeunesse de la CLADE. La Campagne latino-américaine pour le droit à l’éducation (CLADE) est un réseau régional composé de 35 membres issus de 18 pays de la région.

Parmi les membres de la CLADE, on compte de nombreux jeunes et adolescents et, en 2022, ils ont réclamé une plateforme permettant de s’engager au sein de l’organisation. Cette plateforme a été rapidement mise en place et soutenue par le financement accordé à la CLADE par L’Éducation à voix haute jusqu’en 2023. Les membres de la CLADE sont très diversifiés, composés de personnes issues de différents horizons, âges et cultures, mais toutes et tous ont la même ambition : établir les fondements démocratiques du Groupe de travail jeunesse (YWG).

Tout comme moi, ils en avaient marre qu’un adulte leur présente deux options et leur demande de voter. Ils voulaient définir leurs propres options et développer leur propre mécanisme de prise de décision, tout en profitant de l’expérience des adultes de la CLADE et en favorisant un dialogue intergénérationnel plutôt que centré sur les adultes.

Partant de cette toile vierge, nous avons été confrontés d’emblée à un défi : comment mettre en place une organisation démocratique ? Tout le monde se posait la même question, mais personne n’avait la solution. Ces dernières années, 65 personnes se sont engagées au sein du groupe de travail pour tenter, ensemble, d’y répondre. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il n’existait pas de recette miracle pour mettre en place la démocratie que nous avions en tête, et que les discussions ne nous apporteraient que des réponses partielles.

Nous sentions que le moment était venu de passer à la pratique, en profitant de cet espace sécurisé comme terrain d’expérimentation. Comme l’explique Diana (29 ans, Honduras), « chacun apporte sa diversité, sa singularité, et c’est ce qui rend cet espace unique pour appréhender la richesse de notre région. » Pour atteindre notre objectif, nous devions écouter tout le monde et expérimenter chaque idée. La liberté d’expression et la liberté d’expérimentation font du Groupe de travail jeunesse de la CLADE un véritable laboratoire pour la démocratie.

Nous partons du principe que dans une démocratie, chacun doit écouter et être écouté, et que tout le monde peut changer d’avis en écoutant les autres. Nous pensons également qu’une démocratie doit donner à toutes et tous la possibilité d’exploiter tout son potentiel, même si cela implique de faire les choses différemment.

Carlos (15 ans, Paraguay) souligne ce point : « Au-delà d’être écouté, je me sens utile, […] car, à terme, nos discussions amélioreront la représentation des jeunes à l’international. » Notre plus grande fierté a été de faire de cette vision une évidence. Sol (21 ans, Argentine) fait partie du YWG depuis ses débuts et explique que le groupe « fait toujours en sorte que chacun puisse participer et que toutes les voix soient entendues  ».

Il est également important que les jeunes prennent conscience de leurs propres forces et de leur potentiel de collaboration, comme le souligne Andres (28 ans, Colombie) : « Nous avons remarqué que les jeunes ont beaucoup à apprendre, mais aussi beaucoup à apporter. Pas seulement parce que nous sommes jeunes, mais aussi grâce à notre regard porté sur le présent, les réalités que nous vivons et l’avenir que nous cherchons à construire. »

Youth Working Group's activity under the scope of GAWE 2025 to reflect upon education in emergencies and create micro stories impersonating the education in emergencies. Credit: Israel Quirino
Activité du Groupe de travail des jeunes dans le cadre de la SAME 2025. Son but était de réfléchir sur l’éducation en situation d’urgence et créer de micro-récits personnifiant cette réalité. Credit: Israel Quirino

La manière dont nous nous sommes préparés pour la Semaine mondiale d’action pour l’éducation (GAWE) de 2025 illustre l’influence du laboratoire pour la démocratie sur nos activités quotidiennes. Puisque le thème de la GAWE 2025 était la préservation de l’éducation en situation d’urgence, nous nous sommes demandé : que savons-nous à ce sujet ? Quelles émotions cela éveille-t-il en nous ? À quoi cela nous fait-il penser ?

Grâce à un dialogue collectif, nous avons compris que notre région est touchée par de multiples situations d’urgence et que nos actions ne doivent donc pas se concentrer sur une urgence spécifique. De plus, nous nous sommes rendu compte que ce sujet pouvait réveiller des peurs, des angoisses, et des émotions qui risqueraient de paralyser les jeunes plutôt que de les pousser à agir. En partant de ce constat, nous avons voulu créer notre propre approche, en évitant les méthodes traditionnelles qui pourraient ne pas plaire aux jeunes ou leur paraître trop formelles.

À ce stade, à la fois chercheurs et sujets de notre laboratoire, nous avons dû nous poser deux nouvelles questions : que souhaiterions-nous expérimenter ? Et dans quoi aimerions-nous nous investir ? Au cours de ce processus, David (23 ans, Colombie), qui fait également partie du YWG depuis ses débuts, a remarqué que des sujets comme l’éducation en situation d’urgence « ne se limitent pas à un simple rapport. Il y a des souffrances, des interrogations, des rêves que seul l’art peut exprimer ».

Voilà donc notre mission : créer une plateforme où les jeunes pourraient partager leurs connaissances sur l’éducation en situation d’urgence, découvrir le contexte dans lequel vivent les uns et les autres et s’exprimer à travers l’art.

Un soir, Caleb (33 ans, Bolivie), Sol (21 ans, Argentine) et Tatiana (29 ans, Colombie) ont animé une discussion intergénérationnelle autour de questions sur les situations d’urgence que nous connaissions, leur impact sur l’éducation et notre scénario idéal.

David s’est chargé de la partie créative, en invitant chaque participant à créer une mini-histoire illustrant l’éducation en situation d’urgence.

Deux résultats sont ressortis de cet atelier. Le premier résultat, ce sont 10 mini-histoires, regroupées dans un fichier audio et partagées sur le site de la CLADE, dans lesquelles des jeunes expriment leurs préoccupations, leurs convictions et leurs espoirs concernant l’éducation en situation d’urgence. Le second résultat est plus subtil et concerne la démarche du YWG, c’est-à-dire cultiver les valeurs démocratiques entre ses participants.

Nous nous efforçons de porter ces valeurs dans chacune de nos actions. Nous avons adopté cette approche pour élaborer les déclarations du 3e Forum des droits humains, du Sommet de l’avenir et de la 4e Conférence internationale sur le financement du développement. C’est aussi cette approche qui guide nos représentants dans les forums permanents, comme auprès du comité de liaison UNESCO-ONG, ainsi que du Groupe d’action jeunesse de la Campagne mondiale pour l’éducation.

Grâce à une collaboration collective, tout membre du YWG de la CLADE peut s’exprimer au nom du groupe et le représenter dans les espaces de plaidoyer. Notre stratégie visant à construire la démocratie par l’expérimentation nous a apporté bien plus que des procédures pour guider nos activités.

Alors que l’autoritarisme gagne du terrain dans le monde, notre laboratoire pour la démocratie représente également une lueur d’espoir. Il existe parce que nous savons que ceux qui s’y impliquent porteront cette vision plus loin, et que ce cycle se répétera jusqu’à ce que chaque voix soit prise en compte.